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Christian Bonnefoi, 2004

Ah ! le Homard*

Articulations - Laurent Mazuy et Sébastien Pons

Immanence, Paris, 2004


Au cours d’une conversation, Laurent Mazuy me faisait part de la difficulté à nommer ou même désigner ce que la peinture amène au jour, à la surface, au premier plan, sous notre regard.

Par là il soulignait l’énigme que la peinture véhicule depuis le fond de sa très ancienne origine, et sans relâche. Ce que nous voyons et considérons dans l’expérience esthétique n’est jamais la totalité de l’objet - une surface peinte - mais le moment particulier - celui-là même que nous sommes en train de vivre - d’une durée infinie qui ne cesse de se déployer.

C’est pour cela que nous y revenons, à voir et revoir telle ou telle œuvre, sans que jamais une interprétation puisse la clore, l’achever, la fixer dans le cadre strict de ses limites spatiales.

Elle est aux antipodes de l’une des plus magistrales interprétation menées par Freud, dans Un souvenir d’enfance de Léonard De Vinci : le vautour n’est pas la raison du tableau mais bien au contraire la matière dont il se nourrit pour imprégner chaque particule picturale, et y excéder le souvenir lui-même.

Le tableau est l’exigence de la peinture : pour qu’il y ait tableau il faut convertir le fragment spatial (la toile tendue sur châssis) en matière temporelle, il faut que, d’une manière ou d’une autre, le temps infini excède la présence limitée de l’espace.

En tant qu'objet analytique, le souvenir rassemble tout ce qui l'entoure au profit du sens étroit, limité et limitant, d'un événement achevé et circonstancié.

En tant qu'objet pictural, il projette en avant, sur le mode du futur antérieur, l'infini disponibilité de son être émietté, proliférant bien au delà de sa signification, renouant par le biais de la matière picturale avec l'univers continu et indivisé, selon Bregson, des images.

A l'opposé de Freud, Paulhan note ce qu'il faudrait considérer comme la position critique idéale à l'égard de l'œuvre. S'apprêtant à visiter une exposition de Braque, il se pose cette étrange question : connaissant ce que je connais de Braque, c'est à dire beaucoup, je sais que je vais voir quelque chose que je n'ai jamais vu, donc que je ne connais pas, pour la bonne raison qu'elle n'a jamais eu lieu, encore, ni pour moi ni pour les autres. Mais sa nouveauté, innommée et sans signification encore, s'adresse par le biais du regard à mon expérience et plus profondément à la langue qui la prend en charge, en la sommant de lui faire place, au besoin en se transformant.  

D’une manière ou d’une autre : pour Laurent Mazuy, et il nous l’indique dans le diagramme de son travail, il s’est agi d’élaborer depuis 1997 un ensemble de procédures, de stratégies, de biais où les différents paramètres picturaux (distribution, ordonnancement, diaphanéité, combinaison, frontalité, poids, couture, épaisseur, agencement, texture...) sont traités individuellement afin d’atteindre au maximum de leur efficacité puis, progressivement reversés à la cause commune, le tableau où, indifférenciés cette fois, ils passent du côté du corps pictural, au service d’un savoir incorporé.

Ce passage organisé en paliers, du dispositif tactique et technique à la disposition subjective Laurent Mazuy l'énonce ainsi :



























* Jean Paulhan, Braque le patron, Gallimard