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Marion Daniel, 2015

Le goudron et la dentelle

Médidations colorées sur quelques sujets se rapportant à l’espace - Laurent Mazuy

RDV, Nantes, 2015


Pour son exposition à la galerie RDV à Nantes, Laurent Mazuy pense aux galeries de châteaux : sur la droite de grands tableaux ou portraits en pied ; sur la gauche, des toiles de plus petits formats, disposées en deux rangées asymétriques. Lorsqu’il me parle pour la première fois de son projet, il évoque un intérêt pour le baroque. Or tout appelle ici le baroque ; non pas ce style exubérant que l’on entend arriver à grands pas et renfort de tambours, mais celui de la perle irrégulière qui lui a donné son nom, barroco. L’arabesque et le coup de pinceau net devenant plus incertain, s’achevant en tache, la chatoyance des couleurs, « gourmandes », va-t-il jusqu’à dire, tout est orchestré : jaunes et verts fluorescents, roses vifs, effets de matière, dans une sorte de jeu subtil pour intruments à cordes ou à vent – que l’on pourrait tout aussi bien considérer comme une figure de danse ou un salut. Le baroque ne s’oppose pas nécessairement à la tempérance : à côté des couleurs vives, des marrons et matières sans couleur. À propos du travail de Laurent Mazuy, deux mots viennent rapidement à l’esprit, ceux de kitsch et de décoratif. Non que l’on trouve dans ces peintures des morceaux de papier peint, ce ne serait pas suffisant. Mais le kitsch appelle l’hétérogène, l’hétéroclite, dans une vraie réflexion de peintre qui prend le réel pour point d’ancrage, acceptant toutes ses aspérités, réfléchissant en termes de lignes, surfaces, plages colorées, autant d’éléments proprement picturaux. Hétérogène ou impure, aussi, est cette association de matériaux discordants : celle du goudron et de la dentelle.


Car s’approchant de plus près, on découvre des éponges à gratter, des tapis de salle de bain ou même des poils de barbe. L’ajout de ces éléments de réel accentue le caractère d’objet des peintures. « J’aime la règle qui corrige l’émotion. J’aime l’émotion qui corrige la règle », dit-il aussi souvent, citant Georges Braque, où l’un corrige et se réajuste constamment à l’autre, jusqu’au déraillement. Pour chacune de ses peintures, sur miroir ou sur verre, Laurent Mazuy trace au préalable deux lignes courbes qui s’entremêlent sur lesquelles il appose un papier calque, afin de dessiner ses formes. Au sein de ces dernières, il insère des découpes de couleur, de toiles cirées ou d’éponges, puis fixe le tout sur la toile ou le miroir grâce à des vernis. Picturale, cette œuvre propose un travail sur la surface, dédoublée parfois. Chaque panneau se conçoit ainsi sous forme d’écrans superposés : un miroir et une vitre ou un miroir simple, sur lesquels s’adjoignent ses formes. Nulle idée de série mais une composition qui se pense à l’intérieur de chaque panneau. Les colles produisent un résultat mat, la superposition des écrans, un effet trouble, en opposition à des zones de grande netteté. S’il travaille à plat, il éloigne tout systématisme, si bien qu’on distingue parfois quelques coulures. Ses peintures se situent du côté de la découpe. On pense aux papiers découpés de Matisse, bien sûr, parfois aussi aux peintures de Shirley Jaffe. Il s’agit de trouver un rythme, non au moyen d’un geste impétueux mais par la simple juxtaposition et l’enchaînement de formes colorées. Le mouvement n’y apparaît pas comme la trace d’un coup de pinceau fougueux mais comme l’orchestration et la mise en relation d’un élément par rapport à un autre. Il donne naissance à l’arabesque, qui prend figure à mesure que s’établit le collage des différents fragments assemblés ; cette dernière n’est pas toujours finalisée, de façon à provoquer une autre forme de rythme. En y réfléchissant davantage, ce n’est pas aux papiers découpés mais à la Danse de Matisse que font penser ces œuvres.


Laissons de côté cette première galerie pour l’autre ligne de bataille, qui lui fait face, dont les deux phrases articulant des styles et langages différents proposent aux arabesques une réponse syncopée. Sur la rangée supérieure, de petites toiles, beaucoup plus simples ou abruptes, se composent de coups de pinceaux assez larges, auxquels s’ajoute une ligne ou une forme découpée.

En ligne inférieure, des formats plus amples rejouent la question de l’arabesque. Celle-ci exécute sa partition en une seule phrase : un grand aplat marron auquel s’accolent quelques notes plus légères, morceau de papier bulle teint en rose, empreinte violette, aplat vert ou trace goudronnée, s’enchaînant dans une charade à faire rougir les plus beaux textes absurdes. Nous retrouvons le principe du collage, dans ces sortes d’esquisses ou de portraits simplement brossés à quelques traits. S’agit-il de caricatures ? Le mot semble abusif. Car ces toiles se percent, donnant naissance à des surfaces que l’on dirait davantage de l’ordre du combat du peintre.


Seule, au fond de la galerie, une petite peinture sur laquelle sont accolées des figurines de soldats en plastique vient confirmer ce point de vue… les soldats de la cavalerie, simplement disposés, en attente, sur des plages de peinture.