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Sébastien Pons, 2014

En principe, deux parallèles ne se croisent jamais

En principe deux parallèles ne se croisent jamais - Laurent Mazuy & Sylvie Turpin

L’Artboretum, Argenton-sur-Creuse, 2014


En principe, deux parallèles ne se croisent jamais, si l’on se fie à la définition la plus ordinaire de la géométrie. Ici, elles se croisent, se répondent, s’interrogent, discutent même... dans le silence immaculé de l’Artboretum.


Laurent Mazuy et Sylvie Turpin sont des artistes aux trajectoires atypiques dans le monde de l’art contemporain. Ils sont, en effet, issus de formations en arts appliqués, l’un est diplômé de l’École Boulle, l’autre des Arts Appliqués : des formations prestigieuses liées à l’objet, au sens large du terme, à l’histoire et à l’expérience des savoirs-faire. Des réalités plastiques où le singulier présent aux marges laisse place à l’acquisition et à la pratique de grammaire de formes et d’ingénierie.

Cependant, Laurent Mazuy et Sylvie Turpin ont décidé d’une aventure humaine et sensible, d’une réflexion et d’un laboratoire de forme : faire œuvre, dérouler un questionnement ouvert et récurrent au delà du fonctionnel et de l’utile. C’est dans un lent et patient travail de la peinture qu’ils trament des convergences.


Cette exposition présente des pièces récentes des artistes. Laurent Mazuy installe une suite de six articulations colorées sur des miroirs posés sur cales et recouverts de châssis désentoilés. Si les articulations colorées sont issues de son vocabulaire de formes actuelles, ici la peinture laisse la place à des vernis colorés jouant ainsi avec la capacité réfléchissante du support, venant flouter, brouiller et colorer l’image réfléchie. Les papiers colorés opaques collés aux miroirs grâce à la viscosité de la couleur étalée viennent fragmenter le reflet au même titre que les châssis apposés viennent le compartimenter.

Une lecture rapide situerait ces pièces dans une énième tentative de déconstruction du tableau, mais ce dispositif élémentaire, miroir, bois et technique mixte, discute la question de l’ornement. En effet, pour partie, l’œuvre de Laurent Mazuy travaille sur les liens aux arts décoratifs, les constituants utilisés dans cette série composent pour l’essentiel la mise en scène des salons d’apparat des 18e et 19e siècles : boiseries, miroirs, tentures et motifs..


Une autre pièce de l’artiste présente un papier peint en grisaille portant un motif complexe de scènes de Lucha libre (catch mexicain) sur lequel il dépose une plaque de verre souillée d’une articulation verticale de surfaces et motifs colorés. Contrairement à un tableau fixé au mur, le support transparent qui dédouble la paroi met en suspension la couleur lui conférant ainsi une fugacité en dialogue avec le papier peint qui posé de façon partielle renforce l’idée de surface et de texture.

On notera également commun aux deux dispositifs leur nom Peinture et la volonté de confronter à l’abstraction d’une écriture graphique et colorée une reproduction affaiblie du réel et du mouvement par le reflet et par les scénettes déclinées des catcheurs au combat.


Sylvie Turpin se déploie sur le mur et joue avec sa planéité. L’artiste utilise le mélange mortier/pigment dévolu à la technique ancestrale de la fresque pour créer des volumes décollés du plan du mur. Des reliefs colorés dont les formes sont générées par la technique qui les origine, pâte fluide et durcissante coulée, moulée, stratifiée..Cette autonomie vis-à-vis du mur est depuis peu relativisée par l’artiste qui fait déborder ses formes de leurs limites en apposant directement sur la paroi un jeu d’aplats colorés.

Cette nouvelle étape prend des contours différents en fonction du gabarit du support. Dans Étendu, l’élément en staff central, vertical et étroit, se déploie de part et d’autres par deux aplats sourds dont la couleur est identique à l’une des strates qui le constituent. Dans Débordé rouge et bleu, les deux volumes de hauteur identique génèrent deux aplats en demi-cercles convergents qui se frôlent.

Quand aux Pousse, le staff d’une hauteur plus modeste distribue de part et d’autre deux surfaces différentes qui dessinent une mandorle ajourée au centre. Ces éléments s’articulent dans une symétrie décalée (en opposition avec Étendu et Débordé rouge et bleu) cousue par l’axe central du relief. L’objet pictural ainsi produit dessine une volumétrie indépendante et refermée sur elle-même qui ne peut se dilater.

Pour Étoile, dont l’assise au mur est sur quatre points, c’est l’ombre portée du volume que l’artiste peint affirmant l’indépendance de la forme renforcée par l’artefact d’un effet miroir.

Par ses allers-retours entre la forme modelée qui fait partie et/ou s’autonomise du mur, il n’est pas étonnant que l’artiste choisisse de se libérer de la contrainte matérielle de la paroi. Les céramiques de Sylvie Turpin élargissent la mécanique qui fonde son travail. Avec du grès, elle tresse des surfaces recouvertes d’un émail métallique laissant entrevoir dans ses motifs les teintes de la pâte, des treillages à la géométrie variable dont elle déforme la planéité générant ainsi de l’espace.


Associer dans un même lieu Laurent Mazuy et Sylvie Turpin est l’occasion d’élargir certaines des questions qui traversent aujourd’hui la création. Si, en fait, l’idée de la peinture hors toile (sortir du tableau) apparaît inappropriée malgré moults faux- semblants, la question de faire et défaire le plan du mur reste posée autant par la pratique que par les objets concrets qui en résultent.

Il convient également sans entrer dans le détail, les deux artistes sont des coloristes accomplis, d’aborder le travail de la couleur. Elle est mise en œuvre dans la masse, mélangeant ainsi d’une façon indissociable au sujet les notions de texture et d’épaisseur. La couleur comme pâte prend corps chez Turpin au cœur du moulage et chez Mazuy comme nous l’avons développé plus haut : à la fois colle et matériaux libres générant les contours d’un dessin spontané.


Voyons cette exposition comme une pierre à l’édifice des vanités. Il est question de peinture dans le jeu de la frontalité et du plan et en l’absence du tableau même si, non sans malice, l’un des deux artistes a souhaité accrocher au mur la vacuité d’une toile. Il est question, par l’instabilité des rapports et par la narration qui composent chacune des pièces présentées, de poser la dimension baroque que chuchotent l’une et l’autre de ces œuvres.